Guillaume Tendron
Je ne me souviens très peu de toi, tu es parti un dimanche matin d’octobre à l’aube en allant à une cérémonie du souvenir en uniforme. Tu arborais tes médailles militaires et portais ton drapeau tricolore. Ton cœur fatigué c’est tout simplement arrêté.
Peut-on rêver d’une mort plus digne pour un vétéran des Forces Françaises Libres ?
On te rendit les honneurs militaires, salves, drapeau bleu, blanc, rouge sur ton cercueil, je n’étais pas là, jugé trop petit pour assister à la cérémonie.
Je me rappelle de toi, plutôt fatigué, souvent endormi au bout de la table. On me fit un portrait peu flatteur de toi car comme beaucoup de tes frères d’armes tu n’as jamais du oublié tes années aux champs d’horreurs et tu t’étais réfugié dans l’alcool d’abord peut être pour tenir le coup, ensuite pour oublier et tout simplement par habitude.
Tu étais pourtant un homme foncièrement gentil particulièrement avec nous, tes petits enfants et très tolérant avec tes enfants. Votre maison était ouverte à tous.
Ce n’est que beaucoup plus tard que je compris ce qu’était un Français Libre.
Vous ne furent qu’une poignée de braves à faire le juste choix , quelques centaines tout au plus, inconscients et téméraires à former le 1er régiment d’artillerie de la première Division des Français Libres après avoir répondu à l’appel De Gaulle dès juillet 1940 en Palestine.
Ce fut d’abord les luttes fratricides avec les troupes françaises restées fidèles à Petain et les troupes italiennes en Érythrée. Vous furent alors considérés comme des renégats et condamnés à mort par contumace par la France de Vichy.
Dès lors vous ne pouviez plus reculer, ils nous vous restait que le panache, l’audace et la détermination, vous ne saviez pas que c’était impossible alors vous l’avez fait.
D’abord à Bir Hakeim, oû pour la première fois vous avez , héroïquement et au prix de lourdes pertes mis un coup d’arrêt à l’avancée fulgurante de l’Afrika Korps du Général Rommel » le renard du désert ».
Ce fut l’un des plus haut fait d’armes de la seconde guerre mondiale, beaucoup périrent mais à quelques dizaines vous avez tenu cette position au milieu de nulle part et permis au VIII corps d’armée britannique de se replier en bon ordre à El Alamein, lui évitant ainsi une débâcle certaine.
Tu participas encore à d’autres batailles célèbres. Tu nous racontais les nuits passées au pied du Mont Cassin où tu dormais au pied du canon, dans le bruit des bombes, la poussière, les gravats et sous un ciel éclairé par les explosions comme en plein jour.
Tu fus même déclaré mort ayant prêté ton uniforme à un compagnon qui tomba sous le feu ennemi.
L’épopée ne fut pas une partie de plaisir, tu as été atteint plusieurs fois, tu souffriras à cause d’une blessure à l’épaule jusqu’au dernier jour.
Puis ce fut les citations, les honneurs militaires, les médailles si nombreuses qu’elles ne tenaient pas toutes sur ton uniforme, les défilés.
Ton nom n’est pas cité dans les chroniques officielles car sous officier tu faisais partie des hommes de l’ombre qui pourtant se battirent jusqu’au corps à corps contre les forces du chaos.
Ton régiment reçu le titre de Compagnon de la Libération. C’est collectivement que toi et tes frères d’armes accédèrent au rang de héros de la Nation.
Puis ce fut le retour à la vie civile et finalement l’oubli car le monde avait envie de passer à autre chose, s’amuser, consommer, prospérer.
Ce fut la période de la reconstruction et des trente glorieuses. Tu ne ménageas pas ta peine en tant que couvreur contribuant à restaurer les toitures des grands monuments de Caen qui avaient tant soufferts.
Tu devins un héros de la vie ordinaire élevant tes deux enfants et un petit fils. Il n y avait pas de jours fériés ni de dimanches car là encore tu travaillais en tant que vendeur de glace à l’hippodrome. Tu fis plusieurs petits métiers, parfois ingrats pour nourrir ta famille.
Puis ce fut la retraite, assez courte, puisque tu nous quittas ce matin d’automne à l’âge de 66 ans.
Nous nous sommes finalement que croisés, et c’est finalement que beaucoup plus tard que je compris que tu faisais partie de ces véritables héros de la première heure à qui l’on doit aujourd’hui encore notre liberté. Je te rends hommage. Nous ne t’oublierons jamais.