Loin de tout, loin de la ville et ses éclats, ils faisaient parti de la France périphérique, de la France d’en bas, des oubliés qui commencent tôt le matin, qui boulonnaient tout le jours jusqu’au soir sans presque voir la lumière sauf les soirs d’été.
Malgré ça ils trouvaient le temps de faire leur jardin, de cuisiner, de vivre, de rêver et de penser à un avenir meilleur. Ils n’enviaient pas les plus riches, fatalistes ils se contentait de leur sort et se disaient » sera mieux demain ». Ils passaient les soirées à prendre le frais sur leur terrasse à regarder les étoiles ou écouter les chants des oiseaux de nuit. L’hiver ils se regroupaient à plusieurs entre voisins pour taper le carton ou jouer aux dés. Près du poèle, ils se tenaient chaud.
Ils étaient les plus heureux du monde et ne le savaient pas.
Un jour en rentrant du turbin, avant d’aller au jardin, il se rendit au bistrot pour boire une mousse au comptoir, parler de la pluie et du beau temps et prendre un ticket de loterie, petit grain d’espoir au milieu de la grisaille quotidienne.
Le soir, après dîner ils regardèrent distraitement la télé, le journal, la météo, le tirage du loto. C’est à ce moment là qu’ils sortirent de leur torpeur car les numéros de leur grille, faite inlassablement depuis des années, sortirent un par un jusqu’à la dernière boule. Sidérée, ils repassèrent en relation, plusieurs fois le tirage, mais pas de doute possible, la présentatrice annonçait les six bons numéros. Ils ne rêvaient pas, le sort avait décidé de les sortir de leur modeste condition et de leur vie monotone, le miracle capitaliste s’accomplissait, ils étaient les heureux élus.
S’en suivirent le rendez-vous à la Françaises des Jeux, les rendez-vous avec le banquier pour combler le petit découvert et faire les premiers placements, l’achat d’une nouvelle voiture, de la nouvelle maison, les fêtes à tout casser avec les copains de toujours et les nouveaux pique-assiettes, la démission du boulot alimentaire, les voyages dans des paradis à l’autre bout de la planète.
Ils étaient les plus heureux du monde mais ils ne savaient pas.
Puis ce fut le toujours plus, plus loin, plus cher, l’insatisfaction permanente, la recherche du toujours mieux sans avoir de limites, les premières engueulades pour des questions d’argent, les distances qui se creusent, les amis qui s’éloignent car ils ne vous reconnaissent plus, le cœur et les yeux qui deviennent sec, la solitude, l’isolement, la dépression, le malheur malgré la richesse.
Ils étaient les plus heureux du monde mais ils ne le savaient pas.
Electrochoc, Prise de conscience, méaculpa, dons d’argent, don de soi, réconciliation avec eux même, sobriété, retour aux sources, à l’essentiel, aux plaisirs simples, à la contemplation.
Ils étaient redevenus les plus heureux du monde mais maintenant ils le savaient.