Je me sens comme un arbre creux isolé.

Ceux que l’on trouve encore, boudant les chemins de campagne, dans les jardins publics où ceux cachés près des maisons de famille.

Les tempêtes hivernales et du printemps précoce ont coupé mes deux plus belles branches charpentières. 

L’une a été consumée, il n’en est que cendres, l’autre se transformera en humus.

Ainsi va le cycle de la vie. 

De ces récentes blessures, coule une sève abondante, cicatriseront-elles un jour ?

Le temps  fera-t-il son œuvre ? Ses plaies resteront-elles ouvertes à jamais. 

Pourtant je résiste. Je résiste encore contre ce champignon qui me ronge de l’intérieur, jusqu’à l’aubier. 

Je lutte aussi contre les insectes parasites  avec qui autrefois je fus en symbiose et qui sont désormais devenus toxiques.

 Idem, pour les boules de gui trop nombreuses sur mes branches. 

Chaque jour gagné, chaque année est une victoire sur la vie, un cercle de plus. 

Je garde espoir en regardant pousser vers la lumière mes nouvelles branches et les bourgeons du printemps à peine éclos,  regardant déjà vers le ciel. 

Le cœur gravé il y a des années sur mon écorce par mon aimée s’efface peu à peu. 

Puisse-t-elle revenir dans ce jardin qu’elle aimait tant. Elle gravera de la pointe de son couteau nos deux noms pour un regain d’été. 

Poète, je continue à porter sur mes branches quelques oiseaux siffleurs.

 Je cultive un langage secret que seuls ceux qui se rapprochent de moi pour l’entendre.  à travers le frémissement du vent dans mes feuilles. 

Je réserve mon énergie vitale à ceux qui savent enlacer mon tronc rugueux de leurs bras. Je communique avec d’autres congénères, parfois isolés par le biais de mes racines traçantes  ramifiées dans la terre. 

Un jour viendra où je n’échapperais pas à la cognée de la camarde venu m’abattre. 

Je tomberais là en silence,  mon bois sera brûlé et mon âme libérée s’envolera vers le ciel, mes cendres rejoindront cette terre pour un nouveau cycle. 

Ainsi va la vie d’un arbre meurtri.