Guillaume Tendron
Sur le zinc de l’ennui au boulevard du temps qui passe,
J’en passe des journées et des nuits à t’attendre.
Des quarts, des demis, des girafes ou des galopins, toute la carte y passe jusqu’à trouver l’oubli.
Sur le zinc de l’ennui, on se fait des amis : des bras cassés de la vie, des petits frères de la malchance.
Le mien on l’appelle Capitaine parce qu’il boit beaucoup de rhum.
Et, à force de boire du rhum, il a bu son bateau. Quand il arrive, il accoste le zinc, comme une péniche arrivant à quai. De sa voix puissante il gueule « la Françoise, un rhum ». Là, les histoires commencent, on s’en va en voyage à Macao, à Frisco ou ailleurs.
Sur le zinc de l’ennui j’y passe maintenant ma vie. J’ai perdu mon boulot et ma femme est partie. Je continue à boire, à tailler des ardoises ; enfin pas trop quand même, pour pas me faire jeter par Françoise.
Depuis peu, je loue le petit deux pièces au-dessus du comptoir, bien pratique pas trop loin pour remonter par les soirs de brouillard.
Quand j’en ai vraiment une bonne, que l’escalier est devenu l’Everest ; je m’endors dans le fond de l’arrière-salle sur la banquette de moleskine, à côté du panier du chien qui roupille. Françoise me met un plaid sur les épaules pour pas que j’attrape froid.
Sur le zinc de l’ennui je finirai mes jours.
La fin viendra lorsque j’aurais fini d’apprécier le petit crème du matin aux aurores, à l’heure où les damnés de la nuit vous font leurs confidences.
Sur le zinc de l’ennui il y a aussi le midi, les odeurs du bœuf bourguignon mijoté par Françoise.
L’après-midi, je le passe derrière mon journal à regarder la rue, les étudiantes qui passent. Je fais maintenant partie du décor.
Puis vient l’heure de l’apéro, à la sortie du boulot, les frères misères déposent leurs soucis contre un ou deux whiskys.
Sur le zinc de l’ennui j’ai laissé ma santé
J’ai ma panse qu’a craquée et mes jours sont comptés. Badoit, Vittel j’ai droit qu’à ça désormais à l’hospice du quartier.