Guillaume Tendron
Quelque part dans une geôle syrienne.
Sous cette chappe de béton et d’effroi j’attends la délivrance.
Elle ne vient pas.
A chaque séance, le tortionnaire spécialiste réanime le peu de vie qui reste en moi. Soufflant sur la braise incandescente, il ravive patiemment le feu de la douleur. Implacable, sournois et imaginatif il use de toutes les perfidies pour recueillir ma vérité.
Si ce n’est pas mon tour, c’est celui d’un compagnon. Les cris de mes frères d’âme me terrifient. Le temps est suspendu à ses lèvres. J’espère qu’il ne flanchera pas dans un moment de faiblesse.
Pour l’instant, je tiens.
Le secret est scellé au fond de ma poitrine, mon cœur est déjà mort.
Il reste ma volonté. J’entends mes os qui se brisent. Mes plaies s’approfondissent, mon regard est loin et ma bouche reste close.
Je le sens agacé, il redouble d’efforts, il met en exercice tous les trésors de sa science. En vain… J’arrive à espérer une faute de sa part qui éteindrait l’étincelle de vie qui reste en moi.
Ici Dieu et ses prophètes sont aux abonnés absents, il ne sert à rien d’espérer. La mort n’arrive toujours que trop tard.
Le salut ne peut venir que de l’extérieur. Lorsque la tempête se calme je me prends à rêver d’une trêve ou la fin du conflit, d’une intervention humanitaire ou d’une grâce improbable.
Puis vient, le moment tant redouté, j’entends ses pas au bout du couloir, il se rapproche. Quelques mots échangés avec un geôlier complice. Quelqu’un a parlé, il n’a pas tenu réduisant tant de sacrifices à néant. Nul ne peut le blâmer, il a choisi la délivrance. Personne ne peut longtemps résister à l’insoutenable.
Je me laisse aller, devenu inutile, préférant m’éclipser avant que le bourreau rassasié de vérité ne décide de mon sort. Prudent, il ne laissera pas de traces de son infamie.
Les braises qui m’animent s’éteignent peu à peu, les sévices infligés me consument. Mon âme monte et disparaît en volute de fumée.
Je pars tel un feu qui s’éteint dans l’âtre aux aurores.