Guillaume Tendron
24 décembre, tout un chacun est occupé à fêter le réveillon. Posté dans la rue, il peut observer à travers les fenêtres éclairées la joie imprimée sur les visages des familles célébrant Noël.
Philosophe, Socrates a choisi de vivre retiré du monde dans la rue et détaché des biens matériels. Sa sacoche contient ses écrits où il distille ses pensées, son paquet de tabac, quelques allumettes.
Dans sa vie d’avant il enseignait à l’université, aujourd’hui il discourt sur les terrasses des cafés auprès des étudiants attablés devant une choppe ou un vin chaud selon la saison.
Ce soir, Socrates n’a pas trouvé de place dans le centre d’hébergement d’urgence déjà bondé. Il a pris ses quartiers sous l’avancée de la vieille église. C’est couvert, et de là il peut observer et méditer sur ses semblables et la futilité de leur vie consumériste.
Il fait froid, il neige. Le philosophe frissonne ses doigts deviennent gourds. Les flocons volent et s’accroche dans sa barbe et sa tignasse. Avec son bonnet et ses lunettes il ressemble au Santa Klaus des enfants ; la bedaine en moins.
D’ailleurs il a faim, la soupe des restos avalée ce matin est déjà loin. La neige redouble et l’oblige à se cacher derrière un carton au fond de son refuge. De là il ne peut plus contempler ses semblables en fête. Parfois il entend encore quelques bribes de conversation et des rires d’une fenêtre restée entrouverte.
Il a de plus en plus froid, la neige recouvre peu à peu son carton. Pour se réchauffer il craque de temps en temps une allumette. Il pense encore et toujours. Comme disait Descartes, je pense donc je suis… Cela le rassure il n’est pas encore mort de froid. Il se lance à regarder par-dessus le carton.
Son esprit s’envole il neige des livres maintenant. Les flocons sont remplacés par un tas de bouquins, des pages et des pages recouvre le sol. Les grands auteurs sont là, les poètes aussi. Sans doute il songe, il délire à cause de la fièvre qui le prend, mais cette vision est pour lui le plus beau des cadeaux. Bientôt il sera lui aussi recouvert par tous ces écrits. Socrate s’endort sans doute pour la dernière fois. Il se sent partir. Les livres le recouvrent, il disparaît. Il va vers le néant.
Soudain lorsqu’il croit être de l’autre côté, il aperçoit une lueur, il entend le son d’une voix. Eh ! Monsieur ça va ? on le secoue un peu, on s ‘assure qu’il respire encore… C’est la maraude, un bénévole le sort de sa torpeur mortelle. Il lui parle, il lui tend un café et une couverture pour le réchauffer. Hagard, Socrate accepte, il ne neige plus de livres, mais il est sauvé.
Un traîneau rouge et blanc l’emportera un peu plus tard vers l’hôpital pour le ramener un peu plus vers le monde des vivants. Il se dit en lui-même, la solidarité est le seul et unique cadeau qui va le la peine, pensée à méditer en cette veillée de Noël. Le sourire de l’interne l’accueillant est le plus beau des cadeaux. Il lui répond par une joyeuse fête. Merci pour tout.
Plus tard, il se couche dans un lit dans la chaleur de l’hôpital. Il rêve et voit par la fenêtre qu’il neige des livres à nouveau. Cette littérature, ces pages recouvre la ville de sagesse. Puisse-t-elle rendre les hommes meilleurs en cette nuit de Noël.